LES INÉGALITÉS, CET ÉCUEIL PRINCIPAL, par François Leclerc

Billet invité.

Avec cette manie qu’ils ont d’employer des mots trompeurs, les économistes dans le ton déplorent désormais l’abondance de l’épargne. C’est leur manière à eux de constater le poids menaçant de capitaux qui ont peu à voir avec les bas de laine du commun des mortels, mais qui résultent d’une mauvaise allocation des capitaux à une tout autre échelle. Cela les conduit à déplorer les difficultés rencontrées pour leur trouver une bonne affectation – un rendement à moindre risque selon eux – ce qui ne va pas en s’arrangeant.

Quand ils recherchent les causes de cette abondance, les mêmes préfèrent incriminer la démographie et le poids grandissant des retraités par rapport aux actifs. Pour ensuite souligner l’importance de l’épargne des particuliers qui préparent leurs vieux jours ou qui bénéficient de systèmes de retraite qualifiés d’avantageux. On devine la conclusion qui en est tirée dans ce dernier cas.

Quand ils cherchent les causes de ces bas taux – quand ils ne sont pas négatifs – ils pointent du doigt les banques centrales qui en sont jugées responsables. Par leurs achats obligataires, elles assèchent ce marché, incitant à des comportements peu vertueux dont la réglementation financière s’efforce de combattre les effets. Le monde financier, on le sait, n’est pas exempt de contradictions, ce serait même l’une de ses principales caractéristiques.

À y réfléchir, ne fait-on pas porter aux banques centrales un chapeau un peu trop grand ? La baisse des taux du marché obligataire a une cause plus ancienne et profonde que leurs mesures non conventionnelles, à savoir un déséquilibre grandissant entre la masse des capitaux accumulés et une demande d’investissement qui va se réduisant. Celle-ci résulte d’une demande en berne des consommateurs, dont le revenu est atteint ou bien pourrait l’être, à laquelle le crédit ne peut plus suppléer après avoir beaucoup donné, mettant les investisseurs à la peine pour trouver du papier. Pauvres d’eux et surtout pauvres de nous !

La faiblesse de l’inflation limite les dégâts, mais il devient difficile de gagner de l’argent en le faisant travailler, à moins de renouer avec des comportements à risque au moment où la pression en faveur de la dérégulation financière renaît. Non seulement le capitalisme ne se réforme pas comme il faudrait, mais il semble tout prêt à replonger dans ses errements passés, à l’étroit dans les habits qu’il doit désormais porter.

Arrivé à ce point de son développement financier, le système est pris à son propre piège. Croulant sous les effets de l’allocation de la valeur ajoutée qui privilégie d’une façon caricaturale la rente sur le salaire, il pâtit de ses conséquences. Une stagnation séculaire s’installe, suivant l’expression qui fait fureur, la consommation cessant d’être le moteur de la croissance qu’elle était, l’investissement en subissant les conséquences, les investisseurs n’ayant plus bientôt comme seule ressource que de jouer en circuit fermé au Monopoly financier.

L’inflation a longtemps été l’ennemi public numéro 1, auquel a succédé à cette même place un endettement global dont la croissance se poursuit. Le développement des inégalités est devenu le danger principal, constatent les observateurs les plus éclairés. Mais stopper sa progression supposerait une remise en question trop radicale pour être décidée. On voit déjà comment le système a du mal à se réformer de lui-même, sans y parvenir, et comment la finance de l’ombre se révèle non réductible. Comment, en d’autres termes, l’opacité lui est consubstantielle. Alors, valoriser le coût du travail et fiscaliser la rente ? n’y pensez même pas  !

Dans ce contexte, la tentation de l’Helicopter Money vient à point nommé. Elle est souvent rencontrée, et a pour but de remédier à la mauvaise redistribution de la richesse en confiant aux banques centrales le soin d’injecter directement des liquidités dans la poche des consommateurs, tout en laissant intact le système financier qui est le moteur des inégalités…

Entre les mégabanques et les compagnies transnationales, le petit monde du pouvoir n’a cessé de se concentrer, faisant aujourd’hui du pouvoir politique et de la démocratie représentative des ersatz. Il n’en est pas moins à la recherche de son équilibre, toujours pas retrouvé. Une nouvelle période s’est ouverte, au cours de laquelle le pire et le meilleur vont s’affronter avec comme seule certitude que tout ne redeviendra pas comme avant. Déjà, les deux s’esquissent et les rapports de force se cherchent…